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08 May

De Moscou à Pékin, carnet de voyage du Transsibérien (2)

Publié par JAUDEAU Jacques

Dimanche 17 juillet 2005

 

La forêt a disparu. Il n'en reste plus qu'une fine bande de bouleaux le long des rails et une autre au loin. Le relief est totalement plat. Toujours les mêmes maisons de bois disséminées au milieu d'un vaste espace herbeux verdoyant. Le ciel est gris.

 

10h, arrêt à Ishim, juste après le petit déjeuner apporté par notre provodnista (même contenu qu'hier). Nous sommes maintenant à 2428 km de Moscou. Sur les quai, le comité d'accueil est plutôt restreint. Quelques baraquettes de tôle bleue à la devanture douteuse et grillagée sont ouvertes. Une marchande ambulante complète le décor. Une jeune fille en blouse verte propose, dans quelques caisses de carton posées sur un diable, des pommes, du raisin, des bananes. Une vieille babouchka la rejoint avec quelques barquettes de framboises. Nous réalisons nos premiers achats sur les quais : un pain long au petit magasin bleu pour 10 roubles et quatre pommes à la jeune marchande pour 37 roubles. Tout cela, ajouté au saucisson fumé du petit déjeuner que nous avons mis de côté représente un bon repas d'avance. Pour ce midi ?

 

Après un quart-d'heure de pose, le train repart lentement. Dehors le ciel se dégage. Dans le couloir, la provodnista continue la distribution du petit-déjeuner. Nous avons sorti le matériel à aquarelle. Sur la tablette, une barquette vide fait office de récipient, à côté des palettes de couleurs et des carnets de croquis. L'eau se balance dangereusement au rythme du train, menaçant à tout moment de déborder. Quelques coups de pinceau bien ajustés et la feuille blanche se transforme en paysage sibérien : une barrière de hauts bouleaux gris-argenté, noirs et verts, se découpe sur fond de ciel bleu.

 

 

 

De Moscou à Pékin, carnet de voyage du Transsibérien (2)

Dans les couloirs circulent maintenant des vendeuses de châles de laine tricotés à la main. Elles ont dû monter à Ishim et descendront certainement, une fois leurs affaires faites, à la prochaine gare pour faire le trajet en sens inverse avec de nouveaux clients. Sans un sourire elles nous lancent une offre que nous déclinons gentiment puis elles passent leur chemin en baragouinant dans leur langue.

 

12h, les œuvres d'art s'amoncellent sur la tablette. Peu avant la gare de Nazyaevskaia nous dépassons, à faible allure, un marché de tissus colorés, typique. Branle bas de combat ! Vite un appareil photo ! Trop tard ! Malgré son train de sénateur le Transsibérien roule encore trop vite pour nous. La provodnista nous apport notre panier repas. Même genre qu'hier, mais cette fois avec du poisson pané et de la purée.

 

13h, nouvelle traversée du train, vers l'arrière, pour une photo par le hublot du dernier terminal. Le dernier wagon est presque comme le notre, mais il ne dispose pas de l'air conditionné. Il y fait nettement plus chaud et les voyageurs ont ouvert les fenêtres en grand. Ici, on trouve des familles plus modestes. Cela explique l'empressement des marchands ambulants à se regrouper à l'arrière du train où ils sont plus sûrs d'écouler leurs produits auprès de gens qui achètent certainement peu aux provodniks et encore moins au wagon restaurant.

De Moscou à Pékin, carnet de voyage du Transsibérien (2)

L'après-midi, le couloir se transforme en point d'observation pour les adultes qui admirent le paysage et en terrain de jeu pour les trois enfants du wagon. Un petit russe promène sans arrêt son chien électrique qui lance, à intervalles réguliers, d'insupportables « Ouah ! Ouah ! » mécaniques et crispants. Sur l'écran de notre porte ouverte défilent des visages maintenant bien connus : un anglais quinquagénaire, solitaire, toujours en short et en tongs , qui occupait par erreur une de nos couchettes au départ de Moscou, un grand et gros black, étranger, qui partage un compartiment deux places avec une russe, près du local des provodniks, quatre jeunes allemands adeptes d'un rock dur, un russe d'une soixantaine d'années, qui sent très fort sous les bras, toujours accompagné de sa femme … même sans échanges verbaux, c'est une vraie petite société qui s'est mise en place en deux jours.

 

Arrêt à Omsk, nous descendons pour quelques photos sur un quai bordé d'une longue palissade métallique qui cache une partie de la façade de la gare de briques rouges partiellement recouvertes d'un vieux crépi épluché, vert d'eau, en réfection. Il est 14h, heure locale, c'est à dire 12h heure de Moscou et 10h heure de Paris. A moins qu'il ne soit déjà 15h ! On ne sait pas. Difficile de s'y retrouver tout au long du Transsibérien. Il y a peu d'horloges dans les gares et généralement elles n'indiquent que l'heure de Moscou. Au fur et à mesure de notre avancée, il faut régulièrement avancer nos montres d'une heure, mais on ne sait pas vraiment quand ! Alors, 14 ou 15h ? On verra bien au prochain arrêt, peut-être Barabinsk, prévu dans 3h30. Il sera alors 17h30 ou 18h30, à moins que ce soit déjà 19h30 ! L'heure du thé ? Du souper ?

 

18h15, arrêt à Branbinsk. Sur le quai, du poisson fumé. Appareil photo en bandoulière, je croise deux policiers en uniforme verdâtre, matraque à la main. Pas vraiment engageants. Deux trois mots en russe, un signe de la main, je comprends tout de suite : « Ici, pas de photo ! ». Je continue vers l'avant du train. Il y a sept wagons de voyageurs, y compris le wagon-restaurant entre nous et la locomotive. En comptant les six qui nous séparent de l'arrière, cela doit faire en tout un convoi de 14 voitures, plus une de transport de matériel. En regagnant notre compartiment, je croise les autres voyageurs qui se dégourdissent les jambes sur le quai. Certains passent par dessous le train voisin, à l'arrêt, pour arriver plus vite aux baraquettes métalliques bleues et jaunes et faire leurs achats sans emprunter la passerelle. Autour de moi, tout le monde prend des photos !

De Moscou à Pékin, carnet de voyage du Transsibérien (2)

19h15, véritable apéro improvisé dans le compartiment : vin rouge français « emprunté » à l'ambassade française à Moscou lors de la garden party du 14 juillet, J7 à la pomme de même origine pour Tristan, saucisson fumé du petit déjeuner, tranche de pain noir acheté ce matin sur les quais d'Ishim, chips russes au fromage et petits croûtons de pain au piment. Le tout face à la plaine sibérienne qui défile sous nos yeux. Excellentissime !

 

19h45, après l'apéro, le repas. Direction le wagon-restaurant pour nous quatre. Commande de soupes : « Soup niet ! ». On se retrouve sans trop savoir pourquoi dans l'obligation de commander autre chose. Alors, ce sera des escalopes avec quelques pommes-de-terre sautées, des petits pois toujours froids, des tranches de concombre, un peu de pain noir et bien sûr bières et fanta. Le service est un peu long et la serveuse toujours aussi spéciale. Ce n'est pas très grave, le coucher du soleil sur la campagne sibérienne reste un magnifique spectacle qui écourte l'attente. Autour de nous, la serveuse distribue des soupes aux clients attablés !

 

22h, traversée de l'Ob à Novossibirsk, à 3343 km de Moscou, fleuve d'une largeur impressionnante, trois à quatre fois la Seine au moins, sillonnée d'une multitude de petites

berges. La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons à la gare, la plus grande de Russie. Une rapide visite du hall spectaculaire et nous remontons vite fait dans le wagon. Inutile de prendre trop de risques et de se retrouver plantés sans argent ni passeport dans une ville de deux millions d'habitants.

 

Une partie de yam désormais presque traditionnelle et hop, tous au lit ! Il est déjà 23h. Non, en fait il est minuit ! Peut-être même une heure du matin. Le train file à pleine vitesse dans la nuit noire. Prochaine arrêt à Taïga dans deux heures et demie, puis Marinsk deux heures plus tard . Pas sûr que nous verrons quelque chose ! Dans mes écouteurs, Stravinsky, le Sacre du Printemps.

 

 

 

 

De Moscou à Pékin, carnet de voyage du Transsibérien (2)
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